BONNEGARDE ET LE SEJOUR D'EDOUARD


A la limite sud des Landes, sur la route  d’Amou vers Sault-de-Navailles, on remarque sur la droite une hauteur boisée qui  domine la plaine du Luy de Béarn. On peut s’en approcher en prenant route départementale 433. Mais le mieux est de la rejoindre directement depuis Amou par la départementale 346. Cette hauteur aux pentes très raides, à l’extrémité occidentale d’une colline aux versants abrupts constitue un promontoire naturel, et depuis les temps très anciens un excellent poste de garde et de surveillance, par la suite aménagé par des retranchements de terre.  L'origine en  remonterait même à l'époque précédant l'occupation romaine où un camp y était dressé. Les textes latins du Moyen âge désignaient cette « gouarde » qu’on appelle aujourd’hui le Castéra, sous le nom de Bonam Gardam, Bona Garda, bonne garde, aujourd'hui BONNEGARDE.





Le site est constitué d’un classique « éperon barré » d’un peu plus d’un hectare coupé par un retranchement et, au sud-est de celui-ci, un vaste plateau d'environ neuf hectares aménagé en « baille », basse cour extérieure défendue par un système de talus et de fossés.Une sorte de chemin de ronde artificiel a été aménagé à mi pente autour de ce « castrum » et du lieu qui a d’ailleurs conservé le nom de « Las Biolles », parcouru par deux axes perpendiculaires.


plateforme de la Biole aujourd'hui

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L’occupation de cet ancien camp retranché se poursuivit naturellement à l’époque féodale. Et c’est sur cette position idéalement située à la frontière du duché d'Aquitaine et de la belliqueuse vicomté de Béarn, qu’Edouard 1er, roi d’Angleterre et duc d’Aquitaine, créa une bastide fortifiée Il s’agissait sans doute, face aux châteaux béarnais de Bellocq, Sauveterre et Orthez, de surveiller le turbulent batailleur et versatile Gaston VII récemment rallié, ou plutôt contraint de l’être.

L'ancien castrum fut ainsi restauré et aménagé. Il était déjà protégé par un rempart de terre de presque 16 mètres de hauteur par rapport au fossé (et plus de 10 mètres à l'intérieur). On fortifia alors, par des fossés et talus,  l' ensemble de la plate forme dite de la Biole qui se terminait par un grand et double rempart rectiligne de presque 300 mètres.

En l’absence de charte ou de document certain, la fondation de Bonnegarde est placée entre 1279 et 1283. En 1283, la ville avait un bayle et des jurats, et l'on a trace, en 1283 et 1287, d'ordres d'indemnisation d'un certain Bernard d'Arricau auquel Edouard 1er  aurait pris des terres pour édifier cette bastide. Une charte de coutumes aurait été accordée le 6 juin 1287, laquelle fut plus tard appliquée à Hastingues. En tout cas, c'est cette charte de privilèges concédée depuis Blanquefort que le jurats et habitants de la bastide exhibèrent en octobre 1323 au nouveau sénéchal de Gascogne, Ralph Basset de Drayton, lors de son inspection  générale du duché.

Le cadastre dressé en 1815 (dit cadastre Napoléon, consultable sur le site des Archives Départementales des Landes) en montre encore le plan dit « en arête de poisson », formé d'une seule rue droite bordée d’habitations séparées par des venelles ou « andronnes », et les étroites et longues parcelles. C'est donc une bastide simple et modeste.


De tout cela, il ne reste malheureusement aujourd'hui rien de construit ; la petite et éphémère bastide a totalement disparu. L'antique maison forte aurait été détruite au XVIIe siècle, puis plus récemment  remplacée par une maison bourgeoise qui a conservé le nom de Castéra. Les derniers vestiges de murailles ont été démolis au début du XXe s.On peut seulement deviner les énormes terrassements et le profond fossé séparant le castéra de la plate forme de la Biole encore divisée en quatre parcelles herbeuses.( au centre aurait été un puits ) Le dessin du site est cependant bien décelable, même s'il est caché par la végétation et la forêt qui l'ont recouvert ( et le protègent !)

plan de la bastide au XIXe siècle
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vestiges de terrassement noyés dans la nature
dont les photos ne rendent pas compte de l'importance
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De 1254, date à laquelle il reçut la Gascogne de son père Henri III, jusqu’à sa mort en 1307, Edouard Plantagenêt accorda à ce pays un intérêt tout particulier, et y fit de fréquents et longs séjours.

Mais c’est pendant les années 1287 à 1289 qu’il effectua un long séjour dans ses terres gasconnes pour venir y mettre fin à l’imbroglio des multiples divisions et querelles des petits seigneurs locaux, corriger les abus et conforter son administration. Ainsi, après avoir prêté hommage au nouveau roi de France Philippe le Bel, et s’être installé un temps à Bordeaux pendant l’hiver, il rejoignit le Béarn au début du mois de juillet 1287

Ce déplacement était motivé par la médiation qu’il avait acceptée en vue d’obtenir la paix, à tout le moins une trêve, entre la maison d’Anjou, alliée de la France, et le jeune roi d’Aragon, en lutte depuis l’épisode des Vêpres siciliennes. Il s’agissait en particulier de négocier les conditions d’une libération de son neveu Charles II d’Anjou, dit le Boiteux, prince de Salerne, héritier de la couronne de Naples. Ce dernier était en effet retenu prisonnier à Barcelone depuis sa capture en juin 1284 dans le golfe de Naples. Accessoirement, pour aider, il était aussi question du projet de contrat de  mariage entre sa fille aînée Eléonore et ce roi d’Aragon

Edouard 1er, duc d'Aquitaine

C’est à Oloron qu'eut lieu  la première entrevue d’Edouard 1er et d’Alphonse III d’Aragon. Les accords furent conclus les 25 et 28 juillet, puis le 5 août pour la trêve. Après quoi les convois de charrettes de la cour se dirigèrent vers Dax et Bordeaux. 
.Après ces premières négociations, le roi avait regagné Bordeaux. Le roi de France et le pape faisant des difficultés, il revint en juin 1288 par Bayonne, puis Sorde, pour parvenir à Oloron le 30, avant de se rendre à Jaca pendant le mois de septembre. C est finalement le 4 octobre que fut signé l’accord de Canfranc réglant les conventions et modalités de la libération du prince de Salerne.
La libération de Charles II d’Anjou était notamment subordonnée au versement d’une rançon de 30 000 marcs. Et, pour répondre de l'exécution du traité conclu à Oloron, Edouard 1er dut donner, outre la caution des villes de l’Aquitaine, plusieurs otages anglais et gascons. Ainsi trente six principaux seigneurs parmi lesquels Gaston VII de Moncade vicomte de Béarn,  Raymond Robert vicomte de Tartas, Etienne frère du vicomte d'Orthe, Amanieu VII d’ Albret,  envoyés en Aragon, durent  s’engager d'y rester jusqu’à ce que toutes les conventions du traité aient été exécutées. Il en fut de même pour plusieurs notables bourgeois des communautés des villes (Dax en  désigna quatre : Guillaume Raymond du Frances, Jean de La Baste, Bernard de Pouillon, ,Jean de Cabanes. L’un deux fut  suppléé par Bernard Dantès)
Toutes conditions réunies, la libération du prince de Salerne intervint finalement le 8 novembre 1288.


Resté dans le pays pour suivre les négociations, puis l’exécution des conditions et la réunion de la rançon convenue, Edouard d’Angleterre fit de Bonnegarde sa résidence durant l'hiver 1288-1289 autour de la maison forte du Castera en l’attente du retour des soixante otages remis au roi d’Aragon.

On peut se demander ce qui a pu motiver cet hivernage en ce lieu. Cela semble toutefois attester de l'importance et de l’intérêt porté par le roi d’Angleterre à cette bastide.

Après avoir obtenu la libération du prisonnier au début du mois de novembre 1288, Edouard retourna à Oloron. Les services de la cour quittèrent alors le château de Bellocq pour s’installer à Bonnegarde le 18 novembre pour un séjour de quatre mois. Le roi y arriva le 24 après avoir fêté l’anniversaire de son avènement à l’abbaye de Sauvelade, au sud d’Orthez, où l’avait  rejoint la reine venant de Lescar

C est donc à Bonnegarde que la famille royale aurait fêté le Noêl 1288 ? Pas sûr cependant
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EVOCATION DE LA COUR AU CAMP DE BONNEGARDE



La place a été aménagée par un « maître pavillonier » et des équipes de charpentiers ayant préparé à l’avance les logements. Jean Le Comte sergent d’armes du roi est chargé de l’aménagement des chambres du roi et de la reine et celles des damoiseaux et damoiselles. Y côtoient un chapelle et d'autres pièces réservées à la famille royale, et les chambres et pièces à l’intention des frères prêcheurs.


Le roi est accompagné de son épouse et d’Eléonore sa fille aînée (promise au roi d’Aragon, mais celui ci mourut en 1291 avant que le pape ait pu donner son accord à l’union), et même du jeune Edouard, futur roi, alors âgé de quatre ans.  

Sont également présents Robert de Burnet évêque de Bath et premier conseiller du roi, Frère Guillaume de Luda, trésorier du roi, et plusieurs dignitaires tels que le comte de Lincoln, Otto de Grandson, Jean de Vescy, ou Henry de Lascy, et Marie de Bretagne, nièce du roi et première dame d’honneur de la reine.

Au départ d’Angleterre, la maison du roi comptait près de 300 personnes : chevaliers et écuyers, porte-enseignes, sergents d’armes, la garde galloise, les clercs et chapelains,  auxquels il faut ajouter la maison de la reine, les services du sceau et du trésor, valets et personnel du service de bouche et de l’hôtel du roi (cuisine, boulangerie, vivres …), veneurs et autoursiers, et tous les artisans qui suivent le convoi (palefreniers, maréchaux ferrant, selliers, bourreliers, forgerons, carrossiers …), chevaux, mulets, charrettes, chariots, litières, équipements, coffres précieux,  garde robe royale, écuries …..

C'est donc un véritable campement devant avoisiner une centaine de tentes de toutes sortes qui s’est installé sur le plateau des «  Bioles ». On peut y imaginer les quartiers de la maison royale et de sa cour, des chevaliers , des soldats de l'escorte, et des équipages.

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1289

De janvier à mars 1289, Edouard  s’employa à régler les conditions de la libération des otages. A cet effet, il se rendit en vallée d’Aspe avant de revenir dans les Landes pour, dit-on, y chasser les grues vers Hinx ( ?). Il séjourna à Bonnegarde au cours du mois de janvier (sa présence est attestée les 3,12, 14 et 17… et même le 21 février- plusieurs actes figurant dans les Rôles Gascons conservés à Londres y sont établis) . Finalement une entrevue avec le roi d’Aragon eut lieu à Peyranère au début du mois de mars pour la récupération des otages.

Apres cette entrevue la cour regagna Bonnegarde le 14 mars. Les souverains y furent le 19 mars Puis, la mission terminée, le roi et sa suite prirent le chemin du retour vers l’Angleterre. Le départ eut lieu le 21 mars 1289 pour Hagetaubin puis Uzan et Morlaas.

Le fidèle Pierre Itier, chevalier gascon, désigné lieutenant du sénéchal de Gascogne « en deçà des Landes » puis sous-sénéchal du roi pour les Landes, se vit confier la garde la bastide de Bonnegarde. Le roi laissa une aumône royale pour y construire chapelle neuve. Et, effectivement, une chapelle Saint-Michel-de-Crastes  est attestée en 1312 à l’occasion d’un accord qui y a été signé entre Gaston de Foix et sa mère Marguerite de Béarn.

Le 29 mars le convoi royal parvenait à Aire, le 30 a Nogaro, le 31 à Eauze, puis le 1er avril à Condom. Le voyage se poursuivit à travers la France jusqu’à Boulogne et l’embarquement le 12 août pour Douvres.

Gaston de Béarn meurt en avril 1290, la reine d Angleterre malade depuis son voyage en Gascogne meurt en novembre de la même année.

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La bataille de Bonnegarde ( voir article suivant)
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Ce n'est que bien plus tard que les jurats de Bonnegarde, après avoir vaillamment résisté à une attaque française en 1339, demandèrent au roi d'Angleterre de faire clôturer le Castéra et de faire jeter un pont entre lui et la ville. Aussi, en juin 1340, Edouard III  ordonna au sénéchal de Gascogne et au connétable de Bordeaux de renforcer la bastide d’un mur de pierre s’appuyant sur une maison forte (sans doute celle du bayle royal). Il n' en reste que des amas de galets dans les pentes.

Les Anglais définitivement chassés de la Gascogne en 1453, la Biolle de Bonnegarde prise d'assaut et entièrement détruite, fût peu à peu abandonnée. Par sa position elle n’était pas viable en termes commerciaux. Le nouveau village s’établit plus bas sur le site actuel où la population trouva plus d’espace qu’entre les fortifications de terre qui la ceinturaient et la contraignaient. Du puissant « castrum » et de l’éphémère bastide royale anglaise il ne reste rien, sauf les vestiges de murs de terre et de fossés noyés dans une dense végétation.. 
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les châteaux qui faisaient face à Bonnegarde
(Moncade-Bellocq-Sault de Navailles)


abords champêtres du site de Bonnegarde


le château actuel, implanté sur le site du Castéra
(photo extraite de visites.aquitaine.fr)
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A LIRE 

- Le Castéra de Bonnegarde (J.L. Blanc et J.F. Massie) – (Extrait du bulletin de la Société de Borda. 1977) Impr Castay-Aire 1977
- Une bastide anglaise : Bonnegarde (Gal Larrieu) -Dans Mémoires de l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse - 1931.
- Itinéraire d’Edouard 1er en France, du 13 mai 1286 au 12 août 1289 (J. P. Trabut-Cussac) Paris 1972 (Mémoires et documents publiés par la société de L’Ecole des Chartes,20)
- Itinéraire d’Edouard 1er en France 1286 1289 (J. P. Trabut-Cussac) - dans le Bulletin of the Institute of Historical Research, Vol XXV - Longmans, Green, 1952.
- Le séjour d’Edouard 1er en Gascogne - dans Actes du XLVIIe congrès d'études régionales, Fédération historique du Sud-Ouest- 1996 
- L’administration anglaise en Gascogne sous Henri III et Edouard 1er de 1254 à 1307 (J.P. Trabut-Cussac) - Droz -1972.            
- Rôles Gascons - 1242- 1307; 1290 1307 (F. Michel et C. Bémont)  - 
- Bastides ou forteresses ? Les bastides de l'Aquitaine anglaise ( J.P. Trabut-Cussac) dans revue Le Moyen Age- 1954.
- Les Landes dans les Rôles gascons d Edouard 1er (Abbé Tauzin) - dans la  Revue de Gascogne nouvelle série T 2 1902 p 329 334)
- Les bastilles landaises et leur organisation municipale du XIIIe au XVIII siècle (abbé Tauzin) - dans la  Revue des questions historiques -avril 1901.
- Eglises, châteaux et fortifications des Landes méridionales: Du Moyen Age à la Renaissance (Raoul Deloffre, Jean Bonnefous)
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- Itinerary ok king Edward the first throughout his reign A.D 1272-1307 -vol II 1286- 1307 (H. Gough) - London -1900
- Records of the Wardrobe and Household, 1286-1289 -Great Britain Public Record Office H.M. Stationery Office, 1986