LES POSSEDEES D'AMOU



On connait la célèbre affaire des possédées de Loudun qui se situe dans les années 1630. Mais ce cas de possession par le Diable et de chasse aux sorcières est loin d'être unique au XVIIe siècle. C'est ainsi qu'en 1613 plusieurs dizaines de femmes de la paroisse d' Amou furent également prises d'un mal étrange, d'une forme d'hystérie et folie impulsive qualifiée de démoniaque, dont les victimes devenaient enragées et forcenées


visions de la sorcellerie à l'époque

Pierre de Lancre, conseiller au Parlement de Bordeaux désigné pour enquêter dans le Labourd dès 1609, et chargé de purger le pays de tous les sorciers et sorcières sous l'emprise des démons, décrit ainsi le phénomène:

" Il s'est trouvé en une seule petite Paroisse pres la ville d'Acqs plus de quarante personnes affligées de l'epilepsie par le moyen des Sorciers, et une infinité d'autres attains d'un certain mal qui les faict abayer comme chiens "

" C'est chose monstrueuse de voir parfois à l'église en cette petite paroisse d'Amou plus de quarante personnes, lesquelles toutes à la fois abayent comme des chiens, faisant dans la maison de Dieu un concert et une musique si deplaisante qu'on ne peut mesme demeurer en prière: ils abbayent comme les chienns font la nuict, lorsque la Lune est en son plein, laquelle je ne scay comment remplit alors leur cerveau de plus de mauvaises humeurs.Cette musique se renouvelle à l'entrée de chaque Sorcière qui a donné souvent ce mal à plusieurs. Si bien que son entrée dans l'Eglise en faict Layra, qui veut dire abayer une infinité, lesquelles commencent à crier dès qu'elle entre. Et lors qu'en absence de la sorcière le mal les prend, ( ce qui advient aussi tost fort souvent, car elles peuvent leur advancer le mal, et les faire abboyer quand elles veulent) elles les réclament et les appellent par nom, Dieu leur ayant donné en leur affliction cette précaution, de nommer celles qui leur ont baillé ce maléfice pour les notifier et come les déferer à la Justice, laquelle sur ce seul indice s'en saisit parfois si heureusement, que plusieurs ont confessé volontairement, et en ont découvert un grand nombre d'autres, qu'on a mené depuis en la conciergerie de la cour"

Ce mal était manifestement le fruit de maléfices.Des aveux libres ou extorqués et validés par la torture, il fut établi que les sorcières d'Amou donnaient deux sortes de maux, l'épilepsie ou mal caduc, et le mal voyant ou mal de "layra" (aboyer, en gascon). Par le mal caduc, les femmes se vautraient sur le sol, battant la terre de leurs corps et de leurs membres. Celles touchées par le mal de "layra" poussaient des hurlements. La transmission en était décidée lors des sabbats.


Plusieurs de ces prétendues sorcières furent emprisonnée à la Conciergerie de la Cour du Parlement de Bordeaux, puis au château du Ha, condamnées après leurs aveux, certaines brulées.


Au cours des confrontations, le conseiller De Lancre et un autre commissairede la cour du Parlement , le sieur de Monein, recueillirent le témoignage d'une demoiselle "de bonne part mariée à un capitaine de nom et de réputation", signalée par le juge d'Amou comme affligée du mal de Layra depuis deux ans après que " ayant esté mis quelqu'ordure dans la matrice par trois sorcières comme elle s'accouchait". Amenée devant la commission dans la salle de la Tornelle et mise en présence de celles qu'elle accusait, nommées du Four et Fezandieu, elle se mit a crier et aboyer en alarmant tout le monde. Au cours de l'instruction, une certaine Francine Broqueiron, soumise à la torture et au supplice, avoua être sorcière depuis cinquante ans être du complot qui se fit au sabbat pour lui donner ce mal et que ce fut une certaine, dite la Baronique qui, lors de l'accouchement lui mit certaines poudres dans ses souliers pour la charger de ce mal alors qu'on lui mit également "quelque vilainie dans sa matrice avant de lui lier de façon que depuis elle n'a porté enfants" .Le mal resta ainsi clos pendant huit ans avant qu'il ne fut découvert il y a deux ans. Francine Boqueiron, dont il est précisé qu'elle portait la marque du Diable à l'épaule gauche,
y dénonce une Saint-Jean dite la Violone, également du complot, laquelle est soumise à la torture mais se dit innocente et dénonce à son tour un certain Jehan de Lalanne, maître des sabbats, arrêté à La bastide, condamné à mort et brûlé .

Parmi les autres sorcières, De Lancre cite Francillon et Catherine de Lagarde encore en prison en 1613.

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Mais ce n est pas tout. Et peut-être que la sorcellerie justifie beaucoup !

" Satan les afflige encores par des maux bien plus estranges; car les Sorciers en la mesme Paroisse se sont advisez de desrober des chiens domestiques, et les apaster et droguer, de façon qu'ils les font venir enragez; puis les laissans aller en liberté il s'est trouvé qu'estans de retour dans la maison de leurs maistres, ils ont mordu l'enfant le plus chery (aine de la maison agé de neuf a dix ans), et lui ont donné la rage si forte qu'il en est mort dans peu de jurs: Et encores depuis et tout fraischement, certains Magiciens et sorciers ont trouvé moyen de ravir les femmes d'entre les bras de leurs espoux, et faisant force et violence à cefaintct et sacré lien de mariage ils ont adulteré et jouy d'elles en présence de leurs meris, lesquels comme statues et spectateurs immobiles et deshonorez, voyaientn ravir leur honneur sans y pouvoir mettre ordre: le femme muette ensevelie dans un silence forcé, invoquant en vain le secours du mary, et l'appelant inutilement à son aide; et le mary charmé et sans aide luy-mesme se laissant deshonorer, contraint de souffrir la honte à yeux ouverts et bras croisés."

sabbat et interrogatoire

Amou semble être d'ailleurs un nid de sorcières puisque déjà, au XVe siècle, Archambault de Caupenne en aurait fait brûler une dizaine

De même, dans une déposition du 18 décembre 1567 une jeune fille d'Amou âgée de vingt cinq ans, nommée Estebene de Cambrue, avouait que les sorcières allaient à la grande assemblée du Grand Sabbat en un lieu dit la Lanne de Bouc, rejoindre le Diable appelé Lou Peccat, quatre fois dans l'année,correspondant aux quatre fêtes chrétiennes, en plus des petites assemblées locales, pour des danses,ébats, fôlatreries, et pour fauterautour d'une pierre plate dite "tinon"

On apprend aussi que dans la nuit du 25 septembre 1609, trois sorcières ( Sansinena, la dame vielle d'Arrostegy et Marie de Laurensena) avaient attaqué M. de Caupenne d'Amou dans son château de Saint-Pé de Nivelle dont il est seigneur , lui mettent la corde au cou après qu'elles l'eurent trouvé au lit. Quelques temps avant une certaine sorcière lui avait percé la cuisse et sucé le sang, lui étant couché et sans qu'il s'en aperçoive dans son sommeil !!

ETONNANT, NON ?

église d'Amou

De Lancre conclut:

"la Cour de parlement est bien en peine de porter quelque soulagement, et remédier à l'affliction de cette pauvre paroisse... se lasse et commence à prendre à prendre à contre-coeur d'en exposer au gibet en si grand nombre".

Et de fait, on s' accuse encore de sortilèges dans la sénéchaussée de Saint-Sever en 1671, alors qu' a Sore un homme prétend avoir le don de reconnaitre les sorciers et examine tous les habitants.Le souvenir des multiples lieux de sabbat de la région se perpetua jusqu'au XIXe siècle. Sont ainsi désignés,entre autres, le bois de Poyaler, le tuc de l'Eschouré à Tethieu, le Houn à Préchacq, le chêne de Mimbaste, les landes de Moles et de Bruhet à Cazères, et surtout le lieu emblématique qu'était le "yert de Poumares". Je me souviens qu'à Mugron existe encore le"pont des sorcières" sur le ruisseau de Gabardos, sur le chemin qui mène à Nerbis.

Une vue ancienne d'Amou
(extraite de L'Aquitaine historique et monumentale)


carte postale ancienne


A LIRE


Pierre de Lancre - Tableau de l'inconstance des mauvais anges et démons - 1613
                            - Le livre des princes 1617 

Francois Bordes - Sorciers et sorcieres - procès de sorcellerie en Gascogne et Pays Basque- Privat 1999
David Chabas - La sorcellerie et l'insolite dans les Landes et les pays voisins  1983
Henri Tartiere -  dans Annuaire des landes 1888  -détails sur les sabbats en Chalosse
Baronne de Lataulade - Le procès des sorcières de Mugron en 1643-1644-   Bull Borda 1939