GEOU, DE LA VILLA AU VELO




Elle ne paie pas de mine la modeste chapelle dite Notre-Dame-des-Cyclistes, isolée sur un petit plateau à 2kms au sud-est de Labastide d'Armagnac, entre la D 626 vers Cazaubon et la voie verte du Marsan et de l'Armagnac. Cette chapelle romane édifiée à la fin du XIe siècle est pourtant le dernier témoin d'une très ancienne occupation du site. Des fouilles archéologiques entreprises à ses abords dans les années 1960 puis 1970 ont en effet permis de mettre à jour les traces d'une villa gallo-romaine remontant aux époques du Haut et du Bas Empire,

Au milieu du XIXe siècle, les amateurs locaux mis sur la piste par les nombreux débris remarqués aux abords de la chapelle et sous les vignes et champs à l'entour, font état de la découverte de vestiges antiques. Après l’abbé Dorgan qui les évoque dès 1846, le baron de Bouglon, en voisin du site, découvrait à cet endroit, en 1891, un premier grand pavage de mosaïque.


Dessin du baron de Bouglon -Source:  Buletin de la societe archeologique du Midi de la France vol 10 Ed Paul Edouard-Privat Toulouse 1892

Des premières fouilles effectuées en 1960 et 1961 (M.J. Lauffray) permirent de mettre à jour un fragment de pavage long d'environ 15 mètres ornant la galerie du péristyle d'une villa antique. Les fouilles furent ensuite reprises et étendues entre 1971 et 1977.

Les fragments de vases retrouvés permettent d'affirmer que le site fut peuplé dès le premier siècle (Haut Empire) par un premier établissement, sans doute à vocation d'exploitation agricole.

A cet établissement primitif s'est ensuite substitué un ensemble résidentiel reconstruit à partir du milieu du IVe siècle, comprenant plusieurs séries de pièces réparties autour d'une grande cour rectangulaire à portique et galeries entièrement mosaïquées. Ont été découverts des poteries, des morceaux de bronze et de verre ou encore un hypocauste, le système de chauffage utilisé pour chauffer les sols d’un petit établissement thermal bordant la galerie., ainsi qu'une monnaie de Maximien Auguste (286-305).

La découverte, au milieu de la partie méridionale de cette cour, de la base d’un imposant édifice circulaire, sans doute antérieur, dont la fonction demeure inconnue. Certains y ont vu les fondations d'un temple dédié à Jupiter (Jovis) d'où viendrait alors le nom de Géou. D'autres évoquent une installation thermale ou une citerne.

Toutes les mosaïques mises au jour comportent des motifs géométriques Les découvertes les plus remarquables restent celles qui recouvraient les pièces habitées et surtout ornait les galeries, prouvant que cette villa gallo-romaine fut une riche demeure habitée et entretenue. Une partie a été levée en 1972, et restaurée pour être actuellement visible à l'Office du tourisme de Labastide d'Armagnac.

Le site de la villa continua donc d'être occupé au IVe siècle. Mais l'état de conservation des mosaïques, ni réparées ni refaites, laisse supposer que la durée d'utilisation des salles ou des galeries fut assez brève. On peut donc penser que la villa a été abandonnée dès avant les grandes invasions barbares du début du Ve siècle, sans pour autant que le site soit toutefois définitivement déserté. Pour preuve les fours de potiers à céramique qui y furent établis vers les Ve ou VIe siècle dans un coin de la grande cour centrale.

Plan d'ensemble du site d'après R. Monturet, IRAA CNRS Pau
Extrait de Marie-Geneviève Colin - Christianisation et peuplement des campagnes entre Garonne et Pyrénées, IVe-Xe siècles. [Centre d'archéologie Medievale du languedoc. Supplément  Année 2008  Volume 5.

Par la suite, les bâtiments ont dû servir de carrière de pierres, comme en attestent les éléments en petit appareil et les fragments de mosaïque qui se retrouvent dans les murs de certaines fermes voisines (La Porte - Le Cardenau) et de la chapelle actuelle.


On découvrit aussi, accolées au flanc nord de l'église, les traces des murs et d'une abside qui pourraient constituer les ruines d'une première chapelle primitive, ou simple oratoire intégré au bâtiment résidentiel. Il est cependant difficile de déterminer si cet aménagement a dû intervenir dès les Ve ou VIe siècle ou s'il relève de l'époque carolingienne et du Haut Moyen-Age.

Le site se transforma ensuite en nécropole puisqu'une quarantaine de sépultures ont été mises a jour dans les secteurs désaffectées de la résidence. Elles sont datées d'une période allant du XIe au XIIIe siècle.

Hormis l'inévitable légende évoquant le trésor d'une chèvre à cornes d'or enterrée sous l'église, et bien sûr la présence d'un souterrain reliant l'église à la rivière de la Douze (dont le baron de Bouglon indique en 1891 que les habitants ne démordaient pas), la tradition locale veut qu'il y ait eu ici un établissement des Templiers sur l'emplacement de l'église actuelle et ses abords nord et est. On y a même placé une forteresse comprenant une ceinture de murailles et de tours (M. Romieu).

Malheureusement il n'a été découvert aucune autre trace d'une telle occupation que les restes d’une nécropole médiévale et moderne aux abords de la chapelle actuelle.

Bien sûr, ont été mis à jour en 1976 plusieurs murs délimitant de petites salles installées au pied de la chapelle actuelle, à l'emplacement de l'aile sud de la galerie enfermant la cour centrale de la villa gallo-romaine. Leur base reposait sur les fondations antiques ou directement sur la mosaïque de la galerie.  Leur structure et la technique de construction   et la manière dont ils étaient liés, dans l'angle nord, au mur de l'église actuelle, porte à les croire de peu postérieurs à celle-ci. Mais peut-on les considérer comme les restes d'un prieuré, voire d'une commanderie du XIIe siècle détruite vers les XIII ou XIVe siècles ?

De même, aucun document d'archives ne mentionne Geou parmi les possessions du Grand Prieuré de Toulouse. Les sources ecclésiastiques (Gallia Christiana) indiquent qu'un prieuré a été établi  en 1133 par l'évêque d'Aire, au lieu alors nommé Gil, lequel aurait été concédé à l'abbaye de La Sauve Majeure en 1138 ( Gilo), donation confirmée par deux bulles papales en 1185 et 1197 (Gel). Mais en 1273, Geou n'est donné que comme simple paroisse indépendante (parochia de Jeu), et n'est plus, en 1355 et jusqu'en 1572, qu'une annexe de l'église de Betbezer (ecclesia de Gelu, selon le Livre rouge de l'évêché d'Aire). Donc si cet établissement avait été à un quelconque moment concédé à un ordre militaire comme celui des Templiers c'est seulement entre 1197 et 1273.

Aucune origine ou sens connus de ce mot Geou  écrit de multiples façons et dérivés selon les documents  : Geux  et Geüx  sur les cartes de  Cassini et de  Belleyme  -   Gel - Gil (1138 ) -  Gilo (1197 ) - Geu ( 1572)  - Gelu - Jeu ( 1274) -  Gius ( 1334) - - et même Yoi   dans un hommage au roi d'Angleterre en 1274.


Donc si cet établissement avait été à un quelconque moment concédé à un ordre militaire comme celui des Templiers c'est seulement entre 1197 et 1273. Ce qui contredit les écrits de Romieu, repris par J.J-C. Tauzin, qui place l'établissement des Templiers à Géou vers 1141-1146.

De fait, plutôt qu'une commanderie de Templiers évoquée par la tradition, ce n'est probablement qu'un prieuré qui occupa le lieu, et dépendant, comme à Saint-Justin, des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem et de leur commanderie de Caubin (à Arthez-de-Béarn).

C'est probablement au XIIe siècle et pour un tel prieuré qu'on dut construire, appuyées sur le mur nord-est de la chapelle, les modestes annexes constituées de petites salles bâties sur la mosaïque de la galerie antique, sur un mur gallo-romain arasé, et des sépultures vidées faisant partie du cimetière autour de la chapelle du XIe siècle.

Cette présence religieuse au Moyen Age est attestée par les liens fonctionnels qui unissent une partie du petit édifice primitif à l'église ensuite bâtie sur son flanc méridional (avec des moellons en petit appareil récupérés sur le site). On peut penser que la nef de la première construction fut transformée en chapelle latérale de la nouvelle église, ou en annexe funéraire. Un passage, aujourd'hui condamné et muré, correspondant à l'entrée méridionale de la première chapelle faisait communiquer les deux édifices. (Encore qu’il soit possible que cette absidiole ou chapelle dite primitive soit en fait de la même époque que celle du XIe ou XIIe siècle, voire postérieure !).

Le lieu aurait été détruit une première fois en 1355 par les troupes du Prince Noir, fils d'Edouard III d'Angleterre, lors de leur traversée de l'Armagnac. Plus tard, ce qui en restait fut pillé et dévasté   en 1569 par les troupes huguenotes du capitaine Balthazar de Thoiras, lieutenant de Montgomery.

Géou est rétabli comme paroisse indépendante de 1572 à 1749, période pendant laquelle l'église subit de nombreux remaniements, dont la construction d'un collatéral au nord, le voûtement et les deux contreforts du chevet, et le percement d'une porte d'entrée au 18e siècle en remplacement de la porte occidentale murée. A la Révolution, elle devient une simple annexe de Labastide d'Armagnac.

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L'église visible aujourd'hui présente un caractère archaïque et sans style particulier  pouvant relever du premier art roman régional semblant dater du XIe ou du début du XIIe siècle. Elle comporte une nef étroite très étirée en longueur sur laquelle se greffe une courte travée droite et un chevet semi circulaire très exigu. Cela semble découler du fait que ce plan était dicté par l'alignement ou l'utilisation des murs des salles antiques qui bordaient la galerie du péristyle sur son flanc méridional. Le chevet en hémicycle, légèrement plus étroit que la travée qui le précède, est percé de trois fenêtres en plein cintre ébrasées vers l'intérieur. L’abside serait située à l'emplacement de l'une des salles de l'établissement thermal antique.

Elle surmontée d'un petit clocher en pan de bois et torchis, couvert d'un toit en pavillon.
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Elle fut dédiée à Saint-Clar (nom qui figure sur la cloche de 1743), le compagnon de Saint-Sever martyrisé par les Vandales et dont les reliques auraient été transportées en l'église Sainte-Eulalie de Bordeaux par Charlemagne
ancienne vue (carte postale)
Longtemps laissée à l'abandon, l'église a été restaurée pour devenir le sanctuaire et petit musée Notre-Dame-des-Cyclistes, grâce à l'initiative de l'abbé Massie, curé des paroisses voisines de Créon et Mauvezin, et l'approbation des papes Pie XII et Jean XXIII. L'inauguration officielle eut lieu le lundi de Pentecôte 18 Mai 1959.

Les fervents amateurs passionnés de cyclisme et cyclotourisme s'y rendent aujourd'hui comme en pèlerinage, notamment chaque lundi de Pentecôte. Elle fut aussi le départ de la huitième étape du Tour de France 1989, vers Pau.

Les murs latéraux de la nef et des vitrines sont ornés d'une collection de maillots offerts en ex-voto par les plus grands champions du Tour de France, du Giro ou de la Vuelta, commencée par celui d'André Darrigade champion du monde en 1960 ( sauf celui de Lance Armstrong retiré en 2012 )

Elle a été inscrite au titre des monuments historiques le 27 février 1996.




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 SOURCES
La villa gallo romaine de Geou a Labastide d'Armagnac dans : Les Landes dans l'histoire: centenaire de la Société de Borda, 1876-1975 : actes du XXVIIIe Congrès d'études régionales, tenu à Mont-de-Marsan et Dax les 24 et 25 avril 1976 (Fédération historique du Sud-Ouest, Société de Borda, Dax- 1978)
J-P. Bost (et P. Debort, G. Fabre, R. Monturet, H. Riviere)-La villa gallo-romaine de Geou à Labastide d'Armagnac : L'histoire énigmatique et mouvementée d'un site archéologique  (dans Bulletin de la Société de Borda 1977 p 3-19)
J-P. Bost (et P. Debord, G Fabri, R. Monturet, H. Riviere) - La villa gallo-romaine de Geou à Labastide d'Armagnac I Les mosaiques. (dans Bulletin de la Société de Borda 1983 p 403-441)
J-P. Bost (et P. Debord, G Fabri, R. Monturet, H. Riviere) -  La villa gallo-romaine de Geou à Labastide d'Armagnac II L'architecture. (dans Bulletin de la Société de Borda 1984 p 651-703)
B. Boyrie Fenié - Carte archéologique de la Gaule - Les Landes - 1994.
Pour la légende des Templiers de Géou:
M. Romieu - Histoire de la vicomté de Juliac 1894
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